Les saisons de Sylvie Lemonnier

Frédérique m’a proposé de parler de mon écriture. Me sentant encore novice en la matière, j’ai quelques réserves à le faire, mais je vais quand même tenter… J’écris avec passion et sérieux, constance et énergie, et si l’écriture n’est pas profession (financièrement elle ne me rapporte rien) elle est bien plus qu’un loisir. J’ignore si le mot précis et juste existe, je ne le trouve pas, mais peux tenter de parler autour de ce manque, de cette « anomie » qui je m’en aperçois tout à coup, relie au fond mon métier -orthophoniste – et l’écriture.
Trouver les mots. Trouver les mots pour parler de l’écriture, ce n’est pas simple.

 Une origine ?

Depuis quand ai-je ce désir d’écrire, d’où me vient-il ? La question me taraude mais… aucun souvenir de « révélation », d’illumination : « Quand je serai grande, je voudrais être écrivain ». Non, j’ai beau chercher. Par contre, une petite voix, une ritournelle entêtée, très ancienne, oui, quelque chose de timide et de discret, d’omniprésent qui, jamais, n’osait s’imposer.
En revanche, ce qui est avéré, c’est un goût précoce et immodéré pour la lecture et, dès le collège, pour ceux qu’on appelait les grands écrivains. Peu à peu, à côté des livres, s’amoncelèrent des carnets, carnets de citations, de poésie, de petites histoires, de scènes, glanées ici ou là. Des paroles de chansons qu’une copine mettait en musique. Un journal – je n’ai pas persévéré dans cette voie, peut-être parce que, n’en lisant pas, je n’en ai pas vraiment les codes. Le souvenir d’une émission télévisée : un comédien y lisait Choses vues de Victor Hugo. J’ai pris l’habitude d’écrire mes choses vues, modestes, mais qui témoignaient d’une attention particulière aux évènements, aux gens, aux lieux , aux sensations et à leur mise en mots. Tout finissait toujours par se mélanger. Le carnet intime et les vers, les débuts d’histoires sans fin, les chutes sans départ.

Des freins à l’écriture ?

Les livres font toujours partie de ma vie, classiques et contemporains. J’essaie de découvrir des œuvres nouvelles, mais j’ai toujours tendance à me tourner – et me retourner – vers les mêmes auteurs, des auteurs fétiches dont la lecture ne cesse jamais de me nourrir.
La fréquentation des très beaux textes a ceci de contrariant qu’elle a le pouvoir d’inhiber toute ambition personnelle d’écriture. En France, la littérature est idolâtrée, les écrivains sont des dieux ; s’autoriser à écrire est presque un crime de lèse-majesté, chercher à être lu est un péché d’orgueil. Les peintres amateurs parlent de leur activité sans complexe – tiens, tu viens voir mes dernières toiles ? Idem pour les sculpteurs, les photographes, les musiciens. Qu’en est-il des écrivains ? Pourtant, il paraîtrait que nous sommes des milliers. Écrire est une passion française. C’est formidable, pourquoi en avoir honte ? En ce qui me concerne, avant d’être éditée, j’écrivais quasiment en cachette – Tu viens avec nous au cinéma ce soir ? Non, je ne peux pas, j’écris… Oups ! Non, plutôt : Vraiment, je suis désolée, je ne me sens pas très bien, je vais me coucher tôt…
Bref l’écriture, en moi, c’est un double mouvement de désir et d’empêchement. Tout ça grâce et à cause des écrivains, les autres, les grands !

 La frustration

Après de brèves études de lettres, et comme l’idée de devenir professeur ne m’enchantait guère – j’avais peu d’imagination, je crois, étudier la littérature, cela menait forcément à l’enseignement – j’ai opté pour l’orthophonie. Toujours les mots, les maux et les mots. Et surtout une vie « normale « , une vie que l’on « gagne » à force d’obligations, de rythme soutenu, de joies et de peines – il me restait si peu de temps, que je ne lisais presque plus… alors l’écriture ! Un sentiment d’inaccompli, de grande frustration, qui aurait pu tourner à l’aigreur, cette soumission au cadre, aux nécessités qui sans doute parce qu’elles sont partagées par tout le monde, s’imposent finalement avec facilité et évidence. Il semble normal de laisser les circonstances diriger sa propre vie. Jusqu’au réveil quand, enfin, on ne sait pas trop pourquoi, les choses se défroissent : cette insatisfaction, ce sentiment de vide, j’allais en faire quelque chose. L’envie d’écrire est revenue, mais plus forte, nourrie par la colère et la révolte ressentie devant les vies d’enfants cabossés que je rencontrais au travail – à cette époque, je travaillais en pédopsychiatrie. Je voyais aussi la lecture et l’écriture comme des médiateurs thérapeutiques.
J’ai obtenu une formation d’animation à l’atelier d’écriture en institution aux ateliers Élisabeth Bing. Et comme « faire écrire » sans écrire soi-même, n’avait pas de sens, j’ai suivi parallèlement des ateliers par courriel avec Frédérique. Ce fut un vrai bonheur, les propositions, les textes, les échanges, le rythme d’écriture et la possibilité d’être lue, pour ensuite retravailler.
C’est dans ce cadre que je me suis remise à écrire, très régulièrement, et surtout à aller au bout de mes projets. Quelques nouvelles plus tard, et leur publication, j’ai fait dans ma vie, toute la place nécessaire pour pouvoir continuer.

 La publication

Ce fut un coup de chance, la rencontre d’un écrivain président du jury d’un concours de nouvelles qu’avait gagné ma fille. Camille est généreuse, en recevant son prix, elle a aussi parlé de sa mère et de sa passion. François-Michel Dupont m’a donné l’adresse du Vistemboir, une maison d’édition caennaise. Et j’ai envoyé mes nouvelles. Quelque temps après, Emmanuelle Chevalier, l’éditrice, m’a appelée : le recueil était retenu ! Avant, j’avais bien sûr essayé les maisons d’édition parisiennes. J’avais reçu des lettres type le plus souvent « Malgré ses qualités, votre manuscrit n’entre pas dans la ligne éditoriale de notre maison… », quelques refus argumentés, quelques encouragements aussi.
Avec la publication, viennent les rencontres – la sortie en librairie, les échanges avec le libraire et de, rares, lecteurs, quelques invitations dans des lieux dédiés – les salons aussi… qui peuvent être une épreuve lorsqu’on est une autrice un peu sur la réserve.

 Comment j’écris,

Je m’impose un cadre fixe, presque aussi rigide que celui du travail. Ma profession m’autorise à exercer en libéral ; j’ai quitté mon emploi salarié pour ouvrir mon cabinet où je gère mes horaires et mon emploi du temps. Tous les matins je consacre environ 1 h 30 à écrire, beaucoup plus les jours où je ne travaille pas. Quand j’ai plusieurs heures devant moi, c’est la joie de l’écriture au long cours. Le matin, c’est plutôt pour retravailler quelques lignes, réorganiser. J’ai vraiment la sensation d’être une fourmi, ou une marathonienne… c’est selon les jours. Et puis il y a l’écriture en mouvement : j’aime marcher, alors quand j’ai bien travaillé, je pars en randonnée. Quand je marche, j’écris. Quand j’écris, je marche. Disons que le flottement est propice à cela. Le flottement des pensées, porté par le rythme et les paysages. Souvent les idées viennent à ce moment-là, un peu comme le matin, quand on se réveille avec des rêves encore en tête. J’ai toujours un carnet dans la poche – comme sur la table de nuit – pour noter… au cas où.

 L’accompagnement littéraire 

Frédérique a été la première lectrice de mon premier roman et de celui que je suis en train de terminer. Je l’ai appelée à l’aide alors que le texte était écrit, mais encore en chantier, après environ deux ans de travail. Peut-être aurait-ce été possible plus tôt, mais lorsque le texte est en friche, il est difficile de le donner à lire.
Nous travaillons essentiellement par courriel et téléphone – je vis dans le Cotentin, et n’ai pas le bonheur de pouvoir rencontrer Frédérique dans ses « cafés-bureaux parisiens » dont elle parle si bien… Lors d’un premier envoi, je lui ai exposé le projet, fait le résumé, et décrit mes personnages. Une première occasion pour moi de prendre du recul : faire un résumé (c’est tellement difficile !), comment parler de l’histoire, ce qui est important, les thèmes que je veux creuser (il fallait faire, du tri) … Ensuite, chaque mois, j’ai envoyé une longue partie, elle-même découpée en chapitres. Nous nous donnions des échéances, ce qui est très stimulant, lorsqu’au bout de tant de mois d’écriture, la fatigue ou le découragement commencent à s’installer. Pas de pauses donc, et un peu de pression !
Évidemment, j’attends les retours avec beaucoup d’impatience et d’anxiété – mais en attendant, je continue d’écrire. Lorsque Frédérique me fait un envoi, il y a d’abord des impressions et remarques générales : est-ce que la narration fonctionne ? Que ressent-elle en tant que lectrice ? Est-elle nourrie par le texte, met-il « en appétit «  ? Toute cette distance et ce regard autre, qu’en tant qu’auteur je n’ai pas.
Puis, le fil du texte s’égraine de remarques : soit sur la forme, qui peut aller de la simple ponctuation, au style, tournures de phrases, longueurs et lourdeurs, remarques positives aussi… sur la narration, le déroulement, les enchaînements des évènements, la psychologie des personnages, la cohérence des lieux et des évènements… J’apprécie dans cette lecture à la fois la sensibilité et le professionnalisme – je crois que Frédérique « ne passe rien », son jugement est averti mais toujours bienveillant et constructif.
Je lis avec beaucoup d’attention toutes ses remarques, je les écris dans mon cahier pense-bête, plein de notes et de post-its. Et j’archive le texte annoté dans le but de tout reprendre, paragraphe après paragraphe, lorsque j’aurai terminé l’écriture, envoyé la dernière partie (dans quelques jours, j’espère) et que je me lancerai dans le travail de correction.

 Les projets

Mon roman touche à sa fin et je sens en moi à la fois la joie, mais aussi quelque chose de plus déprimé, il va falloir lâcher, mettre un point final, et les abandonner… mes personnages. Et plein de doutes aussi. Le livre trouvera-t-il éditeur ?
Suivra un peu de repos, qui pourrait être l’occasion d’écrire des choses plus légères. Des nouvelles, des haïkus ? Avec le retour du printemps, être attentive et sensible à la nature qui se réveille, spectacle permanent, toujours insolite, qui me nourrit comme elle nourrit mon écriture. Mon coffre fort à sensations dans lequel ensuite je puise à l’envi. Ou non. Parfois, les parfums demeurent, les images restent des images, les mots ne s’y associent pas.
Et puis un projet d’écriture à quatre mains, avec ma fille, projet déjà bien engagé, un roman sans doute ado, mais pas forcément : une grand-mère et sa petite fille, dérivent sur un drôle de continent, des néo-robinsonnes aux ressources insoupçonnées. Camille n’est pas d’accord pour que je livre ici le titre…

*Mes publications
Aux Éditions Le Vistemboir :
Dans la poussière et le caillou, Histoires courtes
Saisons et autres contre-temps, Roman
Contribution au
Dictionnaire des mots parfaits, éditions Thierry Marchaise, dirigé par Belinda Cannone
Nouvelles de l’avent, éditions Koikalit

Interview 28/01/2020
Photo Sylvie Lemonnier