« Ecrire, c’est avancer dans le noir avec une lampe-tempête » Max Hermelin

J’ai commencé à écrire vers douze ou treize ans, à l’âge des premières rédactions au collège. J’étais plutôt doué et surtout j’y prenais plaisir. J’aimais jouer avec les mots, décrire des atmosphères, jouer avec les points de vue. Plus tard, je me suis mis à écrire de courts poèmes qui terminaient généralement leurs vies éphémères, trempés d’eau et imbibés de lessive, dans la poche arrière de mes jeans.
A cette époque, j’ai même commencé à écrire une nouvelle, avant d’abandonner le projet au bout de quelques pages. Seul dans ma chambre d’adolescent, j’avais beau m’enfermer à clef, rien n’y faisait, je laissais tomber mon crayon au bout de quelques lignes, découragé.
Il s’en est ensuivi une longue période de jachère (20 ans !) pendant laquelle je n’ai absolument rien écrit. C’est le plaisir de lire qui a réveillé le désir d’écrire.
Il y a quelques années, en refermant un roman qui m’avait particulièrement plu (La porte des larmes), j’ai voulu en savoir plus sur l’auteur, Abraham Verghese, et sur son parcours d’écrivain. Sa courte biographie en quatrième de couverture indiquait qu’il avait participé à des writers circles dans son Etat d’adoption aux Etats-Unis. J’ai poursuivi mes recherches dans l’univers francophone et de fil en aiguille, j’ai découvert Le nouveau magasin d’écriture d’Hubert Haddad (fabuleuse caverne d’Ali Baba pour les amoureux de lecture et d’écriture), puis l’existence d’ateliers d’écriture en France.  
Tout ce cheminement m’a amené à rejoindre un atelier d’écriture et à écrire de plus en plus. Il y a deux ans, j’ai commencé à écrire un roman qui a pour point de départ la disparition d’une journaliste en Afrique de l’Est.  

Comment t’organises-tu pour concilier l’écriture avec ta vie personnelle et professionnelle ? 

Lorsque j’ai rejoint un atelier d’écriture il y a quatre ans, j’écrivais surtout le soir, après être rentré du travail, une fois les enfants couchés. Je travaillais alors sur des textes courts, de deux ou trois mille mots. J’aime les ambiances nocturnes pour ce qu’elles portent en elles de mystérieux, de poétique, voire d’inquiétant. Mais j’écris rarement bien le soir. Mon cerveau fatigue assez vite.
Il y a deux ans, je me suis lancé dans l’écriture d’un premier roman, une aventure plus ambitieuse en termes d’effort et de temps. J’ai démissionné et je me suis mis à mon compte afin de disposer de plus de flexibilité tout en conservant un revenu et un lien avec le monde du travail classique. Ce changement m’a permis de réorganiser mes journées.
Je partage désormais mon temps en deux : j’écris le matin entre 8 h et 12 h, et je consacre l’après-midi à mes autres projets. 
J’ai parfois du mal à concilier les deux. Lorsque je suis dans un bon jour, je n’ai pas envie d’arrêter d’écrire, et mes autres projets en souffrent. Parfois, c’est l’opposé : rien ne sort, et je dois me forcer à rester face à la feuille presque blanche pendant plusieurs heures.  

Quels freins faut-il dépasser pour écrire ?

Il y en a beaucoup ! Le découragement, le manque de temps, la peur du regard critique, les distractions de la vie digitale, et j’en passe. Le découragement fut sans doute l’un des plus gros freins au début de mon projet d’écriture, lorsque je ne savais pas où j’allais, lorsque le champ des possibles me paraissait infini, lorsque les premières phrases que je couchais sur le papier me faisaient grincer des dents. Plusieurs fois, j’ai eu envie de lâcher mon stylo et de passer à autre chose.
Dans ces moments-là, savoir que je n’étais pas le seul à traverser ces difficultés m’a beaucoup aidé. Je recommande à ce sujet la lecture de l’excellent Bird by bird : some instructions on writing and life d’Anne Lamott (malheureusement non-traduit), qui en plus d’être à la fois drôle et profond, contient de précieux conseils pour les écrivains.
Deux conseils en particulier : se faire la main sur des textes courts pour commencer, et oser écrire des premiers brouillons merdiques (je traduis littéralement son concept de Shitty first drafts). Tous les chapitres des livres publiés sont nés de premiers brouillons merdiques, qui ont été retravaillés, expurgés de leurs excès de lyrisme, de leurs digressions inutiles, de leurs dialogues bancals, qui ont été étoffés, enrichis, déconstruits et reconstruits, avant de devenir une deuxième mouture acceptable, puis une troisième qui vous fait enfin décoller vers les étoiles. Avoir conscience de cela est libérateur.

 Si tu avais un conseil à donner à d’autres auteurs ?

J’ai appris beaucoup de choses pendant l’écriture de ce roman. Une, en particulier : il ne faut pas avoir peur d’écrire sans plan, d’avancer dans le noir avec une lampe qui éclaire seulement quelques mètres du chemin à parcourir. Pour un maniaque du contrôle comme moi, c’est une expérience déroutante, mais au final vivifiante. Mes personnages et les situations sont les moteurs de mon intrigue. Je débute avec l’idée générale d’une atmosphère, d’une scène à décrire, parfois avec un fragment de dialogue. J’écris scène par scène en prenant le temps de visualiser la photographie. Qui est dans le cadre ? Que font les protagonistes ? Quelle est la lumière ? La couleur du ciel ? etc. Et ensuite : de quoi parlent les personnages ? Le processus est assez similaire au développement de photographies argentiques (pour ceux qui s’en souviennent !) : l’image apparaît lentement sur le papier blanc lorsqu’on la plonge dans les bains chimiques. On voit d’abord émerger des ombres et des contours, puis des aplats de gris et de noirs, et enfin les expressions sur les visages, les moindres détails de la végétation.    
Il est difficile de résister à la tentation de planifier l’ensemble du récit. J’ai écrit plusieurs plans d’intrigue. Ils sont tous partis à la poubelle. Certaines idées, qui paraissent ingénieuses lorsqu’elles tiennent en deux lignes, se révèlent décevantes quand on tente de les déployer sur plusieurs pages. Le mieux est de laisser les personnages évoluer selon leurs caractères propres (ce qui suppose de bien les connaître), leur spontanéité, et l’alchimie qui se créé lors de leurs rencontres et de leurs confrontations.
Cela ne veut bien entendu pas dire qu’il faut rejeter toute structure. Au contraire. L’agencement des chapitres, le rythme du dévoilement de l’objet du roman, la gestion des différents modes de narration et des temporalités, tout cela est fondamental. On ne s’en rend d’ailleurs pas toujours compte en tant que lecteur. Mais je ne pense pas que l’on puisse planifier cette structure au départ. Il vaut mieux attendre d’avoir une cinquantaine de pages, un début d’intrigue et quelques personnages solidement ancrés, avant de commencer à se soucier de la cohérence, de l’ordre des séquences, de l’armature générale du récit.

Il peut être alors utile de créer un résumé ou une visualisation (sous forme de schéma ou de grille) de ce qui a déjà été écrit. Ce document permet de prendre du recul sur le manuscrit (on se noie dans un texte de 150 ou 200 pages.) afin de déceler les incohérences, de voir apparaître des reliefs et des motifs (par exemple un personnage qui prend beaucoup de place par rapport aux autres), mais aussi de pouvoir plus facilement insérer un nouveau chapitre dans le cœur du texte ou une précision qui doit absolument apparaître au chapitre 3.
Comme je suis plutôt visuel, j’ai simplement créé une grille à double entrée avec en ligne mes différents personnages et en colonne les différents jours durant lesquels se déroule l’intrigue. Au point d’intersection entre les deux, se trouvent les différentes scènes ou chapitres que je décris en une dizaine de mots.     

Quelle est ta stratégie d’édition ? 

Chaque chose en son temps. Sans manuscrit finalisé, je ne me sens pas du tout prêt à approcher une maison d’édition. Et puis, écrire est une expérience envahissante. On rit, on frissonne et on pleure avec nos personnages. Il me reste encore deux ou trois mois de travail. Je n’ai pas du tout le temps de penser à la publication.  
Bien entendu, j’écris dans l’espoir d’être lu au-delà de mon cercle familial et amical. Mais je reste lucide sur mes chances d’être publié. Elles sont faibles. En ce moment, des dizaines de milliers d’écrivains sont penchés sur leurs claviers d’ordinateur ou sur leurs carnets de notes. Les maisons d’édition sont inondées de manuscrits.     
Heureusement, il existe beaucoup d’autres bonnes raisons d’écrire. Anne Lamott encore : « Ecrire peut vous offrir ce que la naissance d’un enfant peut vous offrir : vous faire ouvrir les yeux, vous adoucir, vous réveiller. Mais publier ne vous donnera aucune de ces choses-là ». 

Comment utilises-tu le coaching ?

Lorsque je relis mon manuscrit, j’ai souvent le même sentiment que lorsque j’entends ma propre voix dans un enregistrement sonore. C’est désagréable. Je n’ai alors qu’une seule envie : presser la touche « stop » et chasser rapidement ce mélange de honte et d’agacement qui m’a envahi. Il est très difficile de juger la qualité de son travail créatif. 
Bénéficier du retour bienveillant et critique d’un·e relecteur·trice indépendant·e peut alors être une aide précieuse. Je préfère ce terme à celui, fourre-tout, de coach. Il faut bien choisir cette personne. Votre mère n’a sans doute pas le détachement émotionnel nécessaire pour vous expliquer pourquoi votre personnage principal est raté (et si elle réussit à le faire, vous lui reprocherez probablement de ne pas vous avoir aimé autant que votre petite sœur).
Cela peut paraître évident : choisissez un·e grand·e lecteur·rice. La grandeur étant bien entendu un indicateur à évaluer non pas simplement en termes de nombre de livres lus par an ou par mois, mais également en termes de diversité de genres.
Tout cela pour dire que les retours de Frédérique ont été d’une grande aide tout au long de l’écriture de mon premier roman. Nous faisons en moyenne un point par mois. Je lui envoie mes textes, elle m’envoie ses commentaires et ses questions, puis nous en discutons au téléphone.      


Interview réalisée le 17 février 2020
Photo Max Hermelin