« L’envers de Flins » Fabienne Lauret

Jaquette du livre

ECRIRE ET ALLER AU DELA DE SOI

Ecrire sur mon écriture… voilà ce que me demande Frédérique Anne. Impossible de refuser évidemment, car sa rencontre et son rôle de coach furent déterminants pour l’aboutissement de mon projet. Frédérique m’a suivie pendant quasiment une année pour l’écriture de mon livre paru en janvier 2018.

L’écriture ne m’était toutefois pas inconnue : du fait de ma pratique militante syndicale et politique, je pouvais écrire des lettres, de longs mails, des tracts, des comptes rendus, des articles… et mon journal intime quasi quotidien ou des cartes postales si rares de nos jours. Mais pas un livre entier !

Le déclic : « LES TEMPS MODERNES » 

Le déclic est venu en 2014 suite à un article de commande de la revue Les Temps Modernes sur la question de « l’établissement en usine des ouvriers volontaires suite aux années 68 », une aventure sociale et collective pourtant passée aux oubliettes. J’acceptai donc de participer à cette forme de réhabilitation. Il me fallait fournir en 30 000 signes un témoignage résumé de mon engagement en 36 ans de vie professionnelle : une vraie gageure que le délai donné me poussait à honorer malgré la difficulté. La sortie du numéro double de la revue à l’été 2015, avec au sommaire mon nom et le titre « Une vie de femme à Renault-Flins 1972-200 » parmi d’autres formidables témoignages et analyses, me procura une petite fierté !

De l’article au livre : aller au delà de soi 

Mais le plus invraisemblable pour moi fut qu’un éditeur indépendant et engagé, Syllepse, que je connaissais, se soit arrêté sur mon texte pour me proposer tout de go d’en faire un livre en multipliant par dix son nombre de pages ! Je ne m’en croyais pas capable du tout, mais encouragée par beaucoup de proches, je ne pouvais laisser passer cette occasion de transmettre ma contribution plus précise à l’aventure collective qui avait marqué une génération. Pour savoir si j’en étais capable, je m’inscrivis donc en octobre 2015 à un stage d’écriture de 5 jours sur le thème adapté « projet d’écriture », organisé par des amies artistes à Pénestin*. Le test fut positif : j’ai écrit quelques textes sur mon vécu à l’usine et l’animatrice du stage, qui connaissait Frédérique via leur réseau Bing, me conseilla de me faire épauler par elle.

La première rencontre chaleureuse dans un café à Paris fin 2015, me conforta dans la possibilité du livre ! Le contact passait bien, elle avait travaillé en entreprise, j’avais confiance et le contrat d’un an conclu avec ma « coach en écriture » m’incitait à respecter encore plus le rythme.

Il fallait se raconter, définir une ligne directrice, travailler sur les écrits existants puis établir un plan un peu détaillé et à affiner au fur et à mesure. Mon objectif était de mêler histoire sociale collective et parcours personnel. Donc passer par un indispensable appel à la mémoire souvent déformante ou défaillante, ainsi que par une recherche et un regroupement des documents d’archives personnelles, syndicales ou de l’Institut d’histoire de Renault, sans oublier d’interroger les souvenirs des acteurs et actrices de ces années, comme dans une sorte d’enquête…

Dès janvier 2016, je commençais à envoyer par mail un texte tous les lundis à Frédérique. Elle me faisait des retours en marge souvent très détaillés et utiles, me questionnant, me suggérant la recherche d’autres formulations, sans rien imposer. Au début je ne détaillais pas assez, elle m’incitait à approfondir, à m’impliquer plus, à rendre le texte vivant, à parler de tel ou tel sujet ou aspect. Et à éviter les … que j’utilisais à foison !

Je répondais aux questions, aux propositions d’approfondissement et de précisions proposées par Frédérique. Parfois, rarement, nous n’étions pas d’accord mais elle me faisait avancer, je me sentais vraiment épaulée. Je n’avais pas d’ordre établi pour écrire, je ne suivais pas le plan du livre qui a aussi un peu bougé en cours de route.

Je ne suis pas très organisée et ai une forte tendance à la procrastination : je n’avais pas d’heure fixe pour l’écriture, et je me disais le matin «aujourd’hui je vais faire le portrait de telle personne importante dans mon récit, en utilisant l’interview ou la mémoire, ou raconter un élément de la vie quotidienne à l’usine comme la cantine, l’infirmerie ou le local syndical, une réunion type, l’ambiance de mon atelier », un autre jour j’étais inspirée par une réflexion  sur le produit automobile ou le losange Renault, souvent me venait une anecdote marquante et significative de mon engagement.

La question féministe traversant mon parcours, l’inspiration venait assez facilement de ce côté-là. Mais il me fallait encore creuser, détailler, approfondir la réflexion sous l’impulsion de Frédérique. Et même si le puzzle se construisait un peu au hasard, il prenait du sens, de plus en plus.

J’eus plus de difficultés à revenir sur des épisodes comme le harcèlement antisyndical que j’ai subi avec une menace de licenciement, ou l’accompagnement éprouvant d’une ouvrière ayant subi du harcèlement sexuel.

Mais j’ai connu aussi l’angoisse de la page blanche, les semaines sans écrire une ligne, la culpabilité, le stress de ne pas arriver au bout. J’ai découvert quelques remèdes : se détacher un peu, ne pas se refuser une séance de cinéma, ou une invitation, la marche qui irrigue le cerveau et déclenche l’inspiration. Des ami.es me soutenaient en m‘encourageant régulièrement. Mon compagnon fut d’un secours essentiel en assurant les courses et les repas, supportant mes états d’âme avec une grande patience.

Paradoxalement, il me fut plus facile d’écrire l’introduction et la conclusion que de relater les nombreuses grèves auxquelles j’avais participé : un chapitre complexe, essentiel et moins personnel que je remis en dernier à l’éditeur (et je reconnais qu’il n’est pas le meilleur du livre !)

Grâce au suivi attentif et patient de Frédérique, j’avais quasiment tout écrit au bout de plus d’un an.

Puis vint le montage final parfois complexe réalisé avec un ami ancien correcteur, la sollicitation de la préfacière, la recherche et le choix de quelques photos, la bibliographie, les remerciements.       

Et il faut en passer par aussi par la fastidieuse mais indispensable période des corrections avec mon éditeur : cela semble ne jamais finir ! Et plus tard on en rit un peu, car il  reste toujours quelques coquilles à la sortie du livre ! 

Mais c’est alors une telle joie, presque comme celle de voir son bébé sur soi après un accouchement difficile. On oublie les souffrances passagères pour se consacrer à la période passionnante de la promotion et des rencontres autour du livre qui poursuit sa propre vie.* 

Et on mesure que ce résultat est aussi évidemment dû à la qualité de l’accompagnement d’une coach à la hauteur, et pour moi ce fut Frédérique !

 Texte de Fabienne Lauret
mai 2020 

*On peut commander L’envers de Flins en librairie ou chez l’éditeur, Syllepse. 
* Cerise sur la gâteau : un projet d’adaptation en roman graphique est en cours de réalisation et j’y suis co-autrice.
* L’atelier suivi à Penestin était animé par Kyra GOMEZ https://www.lez-arts-en-mer.fr